Sarang s’en allait rarement faire du shopping. Ce n’était pas qu’il n’aimait pas ça, en fait, c’était même le contraire. Quand il se lançait, ça lui prenait des heures et il cramait souvent toutes ses économies. Mais bon, refaire sa garde-robe était un petit plaisir qu’il avait le droit de s’accorder de temps à autre. La veille, il avait fait le tri entre les vêtements qu’il gardait et ceux qu’il pouvait donner. Maintenant, il avait un peu de place libre dans son armoire pour de nouvelles choses. Ce samedi après-midi, il se rendit donc dans une des grandes galeries commerciales de Yecheon avec la ferme intention d’alléger son porte-monnaie d’une bonne quantité de wons.

L’endroit était bondé. Ce n’était pas surprenant ce jour de la semaine, surtout qu’ici on y trouvait de tout. Supermarché, bijouteries, restaurants, et même un laser game. Et pour ce qui était des vêtements, c’était pareil, il y en avait pour tous les goûts et toutes les bourses. Sarang se mêla à la foule, et ne tarda pas à se trimbaler quelques grands sacs en papier sur les bras. Il était particulièrement content de s’être trouvé une paire de baskets sympa, lui qui galérait toujours à trouver sa taille à cause de ses petits pieds.

Après les chaussures, il alla se perdre dans un énième magasin de vêtements. C’est au bout d’une allée qu’il s’arrêta pour regarder passer une fille. Il en resta bêtement planté sur place, et quand il la chercha des yeux, elle avait déjà disparu. Bien sûr, il faut connaître Sarang pour le savoir, mais regarder passer les filles, c’était totalement contre nature en ce qui le concerne. Même quand il essayait de s’intégrer au milieu de copains hétéros, il ne voyait pas ce qui était supposé l’intéresser dans le corps féminin. Du coup, ce qu’il venait de se passer le poussa à chercher une explication.

En scrutant les rayons, il retomba assez vite sur la fille en question, et comprit alors qu’il avait juste eu une sensation de déjà-vu. De déjà vu, revu, et rerevu, même. C’était une fille qu’il n’avait croisé que de nuit, quand il s’occupait de la sécurité d’une boite ou d’une autre. Même ses collègues savaient la reconnaître. Elle venait souvent, fréquentait des tas de gens, et surtout, elle buvait beaucoup trop, ce qui entraînait parfois quelques problèmes. Sarang eut un petit rire, ça faisait drôle de tomber sur elle comme ça, à l’improviste.

Son rire s’interrompit brusquement lorsqu’il réalisa qu’il était littéralement devant elle, à lui rire au nez. Il posa une main sur sa bouche.

« Pardon… Je me moque pas de vous. » Enfin, si, un peu, mais c’était pas méchant. « On ne se connaît pas, je vous ai juste vu en discothèque, une fois ou deux. » Oui, voilà, minimiser la situation, ne pas sous-entendre qu’il l’avait vu complètement pompette dans les bras d’un mec différent à chaque soirée ou presque.

Et maintenant, changement de sujet très subtil.

« Il est joli, ce haut, vous devriez le prendre. »

pour elle, chaque samedi rime avec un passage obligatoire dans des dizaines de magasins. yumi est loin d'être pleine aux as, mais elle se fiche bien de finir au négatif chaque fin de mois. à quoi bon vivre si elle ne pouvait pas se faire plaisir comme elle le voulait ? son monde est simplement centré autour d'elle et ses envies, il n'y a pas de mauvais choix si c'est ce qu'elle veut, juste de mauvaises conséquences qu'elle ne peut pas contrôler. quand on ne voit que jusqu'au bout de son nez, il était difficile de prévoir certaines choses. elle se fiche de ce qui pouvait lui arriver si au bout de tout ça, elle a eu ce qu'elle voulait.

au bord du découvert actuellement, et pourtant, yumi en pleine après-midi a déjà quelques sacs aux bras remplis de tonnes de tissus. pourtant ça ne l'arrêtera pas et elle décide de rentrer dans une nouvelle enseigne.

elle ne tarde pas et s'évade déjà dans les rayons. elle a tout inspecté: robes, jupes, pantalons, vestes, accessoires et on en passe. à chaque passage, elle a quelques choses dans les mains qui se rajoutent sans prendre en compte des nombres affichés sur l'étiquette. le négatif de son compte en banque ne l'inquiète pas et tout ce qu'elle entend sera l'agacement du propriétaire de son appartement, et les soupirs de ses parents quand elle les appellera pour combattre ce négatif.

le magasin n'est pas vide et les voix des clients s'entremêlent entre elles. certains se plaignent, certains se demandent si cette couleur pouvait bien leur allait mais elle n'y fait pas attention. c'est seulement un rire qui vient à ses oreilles, parce que cette personne est bien trop proche. yumi avait juste a détourné le regard pour l'observer.
il y avait bien quelqu'un qui rigolait, juste à côté, et en la regardant. le problème étant que la jeune femme ne s'attardait pas et voyait déjà le mauvais en ce qui se passait.

— y a un problème ? elle lance directement. — t'avais quand même l'air de bien te moquer de moi là.

yumi se tourne vers lui et son regard va de haut en bas. mais effectivement, il ne lui dit rien. même si lui l'avait vu trop de fois sûrement pour qu'elle puisse prétendre avoir une vie saine, la réciproque ne marche pas. chaque morceau de ses soirées et de ses nuits sont oubliées et écrasées par l'alcool. même les visages avec qui elle a partagé des draps peuvent ne pas lui revenir s'ils sont trop lointain.

— pourquoi tu rigolais alors ? yumi ne comprenait pas mais de toutes manières, elle ne comprenait pas grand chose. — je vois pas t'es qui.. elle marmonne.

mais bien vite, il retourne le sujet sur elle et ses petites affaires. il ne lui en faut pas plus.

— j'allais le faire. tu rigoles toujours des gens quand tu les reconnais ? elle demande l'air de rien, passant le haut sur les vêtements qu'elle comptait acheter.

La demoiselle n’était pas dupe, en même temps, n’importe qui se serait senti visé en voyant quelqu’un éclater de rire devant lui. Sarang essayait de se trouver une excuse, mais il n’avait jamais été très bon pour ça. Dès qu’il devait réfléchir rapidement, ses pensées se transformaient en mayonnaise et il devenait presque impossible d’en tirer quoi que ce soit. Il saisit l’occasion de parler d’autre chose quand elle fit remarquer qu’elle ne savait pas qui il était.

« Je m’appelle Sarang, j’ai travaillé comme videur et agent de sécurité dans plusieurs boîtes. C’est normal que tu ne m’aies pas remarqué, la discrétion faisait partie du job. »

Sarang pensait être tiré d’affaire, mais la jeune femme revint à la charge une fois de plus. Visiblement, elle n’allait pas le lâcher sans une bonne explication. Sarang se gratta la tête, toujours en quête de l’excuse miracle qui allait le tirer de là. En vain.

« Bon, d’accord, peut-être que je rigolais un peu de toi… » Il soupira. « C’est juste que dans ce métier, on finit par reconnaître certains clients habitués ou tapageurs… Et franchement, tu n’étais pas la pire. Y’en a qui finissaient par terre, devenaient violents, ou essayaient de vendre des cachets en douce. »

Il s’interrompit en repensant à certaines soirées particulièrement agitées. Ce n’était pas de tout repos de travailler dans ce genre de milieux.

« Enfin bref, ça fait drôle de te voir en journée. Tu as l’air complètement différente… et beaucoup plus sage. »

Sarang scruta la jeune femme en se demandant si elle n’allait pas lui faire une petite crise de colère. Parce que ça lui était aussi arrivé de causer quelques incidents et de se mettre à crier sur les gens. Il ne fallait pas oublier que même si elle avait effectivement l’air plus sage, ça restait la même personne.

quand il s'explique, tout semble plus logique mais tout ce que yumi constate c'est qu'il n'était pas venu vers elle pour ses beaux yeux. elle le fixe se perdre dans ses explications, une légère moue au visage. elle a pleinement conscience de comment elle peut agir les nuits trop folles mais se pardonnera simplement en accusant les autres d'avoir été les premiers à l'agacer.

— sarang ? j'espère que t'es plus discret que quand tu rigoles sous mon nez !

et son attention se détache complètement du pourquoi elle était censée être là: les vêtements et finir à découvert. le pique est lancé au jeune homme comme si de rien était et comme elle en a l'habitude avec tout le monde.
ses sourcils se haussent et elle prend des faux airs stupéfaits qui lui vont bien et secoue vivement la tête.

— évidemment que je suis pas comme eux, ce sont des sauvages !

elle assure, comme si ce n'était pas son cas. yumi oublie vite les verres et bouteilles cassées par ses extrêmes, les cries qui finissent en dispute par sa faute, les bras qui l'entourent pour l'empêcher de balancer tout ce qu'elle trouve. l'alcool lui monte vite à la tête à yumi et elle ne sait jamais quand s'arrêter car c'est tellement bon de se sentir ailleurs.

— différente ? je comprends pas. elle comprend pas grand chose, ou alors elle aimerait juste qu'il dise le fond de sa pensée sans essayer de se cacher.

parce que yumi n'a jamais été quelqu'un de sage.

Sarang ne peut retenir un petit rire – mais sur lui cette fois – quand la jeune femme lui parle de sa discrétion. Heureusement qu’il n’était pas comme ça au travail, ça aurait fini en grosses bastons avec des gens bourrés un soir sur deux.

« Je suis plus discret, et puis y’a moins de lumière, aussi. »

Lorsqu’elle se mit à traiter les autres clients de « sauvages », Sarang eut un léger haussement de sourcil. Certes, il disait vrai en affirmant qu’elle n’était pas la pire, mais ça n’empêchait pas qu’elle pouvait être très difficile à gérer certains soirs. Elle était vraiment mal placée pour critiquer les autres. Il se demanda alors quels genres de souvenirs elle gardait de ces soirées. Peut-être disait-elle ça en toute honnêteté parce qu’elle avait tout oublié le lendemain ? Ce n’était pas impossible. Quand elle demanda encore plus d’explications, Sarang se retrouva un peu à court. Il se demanda si vraiment elle ne comprenait pas, ou si elle disait ça pour lui tirer les vers du nez un peu plus.

« Je ne sais pas trop, je te connais à peine. Disons que tu dégages autre chose… Peut-être juste que tu es contente de faire les magasins. »

Il la regarda de haut en bas, mais ne trouva rien de mieux à dire.

« On peut continuer en parlant, je veux pas t’empêcher de te faire plaisir. »

Sarang fit quelques pas, puis se retourna vers la fille.

« Tiens, d’ailleurs, puisque tu as l’air d’avoir du goût. Tu penses quoi de ça ? »

Il sortit de ses paquets une chemise bleue avec de grosses fleurs. D’un look un peu douteux, il faut bien avouer.

« Je dois passer une audition pour une pub, il me faudrait quelque chose qui fasse tropical, vacances, tu vois le genre ? Mais je suis pas convaincu… »