Sarang poussa la porte de l’appartement du pied, et ramassa sa boîte à outils tout en gardant en équilibre sur son autre bras un grand plat de nouilles sautées aux petits légumes et au bœuf. Il était un peu chargé, et c’est dans la pénombre qu’il enleva ses chaussures et rejoignit le coin cuisine. Après avoir posé son chargement avec un soupir, il alluma la lumière. Ce n’était pas chez lui qu’il venait d’entrer, mais ça revenait au même. Il connaissait Insoo depuis pas mal d’années maintenant et avait le double de ses clés. Ça lui avait fait bizarre au début, de pouvoir entrer chez quelqu’un comme ça, même si c’était un ami, mais il s’y était fait assez vite, et c’était devenu bien pratique.

Insoo n’avait pas la vie facile, même s’il ne se plaignait jamais. En le rencontrant, Sarang avait rapidement ressentit le besoin de veiller sur lui, et ce besoin ne l’avait plus quitté. Son bien-être et son amitié étaient de ces choses qu’il chérissait le plus en ce bas monde. Aujourd’hui, Insoo l’avait appelé parce qu’il devait y avoir une fuite quelque part, mais comme il allait rentrer tard du travail, Sarang lui avait aussi apporté de quoi manger. Il ouvrit le réfrigérateur, et se posa alors l’éternelle question. « Si j’étais un Insoo, où est-ce que je mettrais ce truc ? ». Il savait que son ami avait besoin que les choses soient bien à leur place, aussi faisait-il tout pour ne rien déranger quand c’était possible.

Il resta un moment à observer comment le réfrigérateur était organisé, avec l’impression d’être devant une espèce de partie de tetris en 3D. Au final, comme le plat était grand et qu’il aurait fallu bouger plein de choses, il préféra le laisser sur le plan de travail. Des fois, plutôt que faire une connerie, il vaut mieux ne rien faire.

La fuite, maintenant.
Elle n’était pas dans la cuisine, il supposa donc que c’était la salle de bain, et en effet, en atteignant la porte, il se retrouva les chaussettes dans une flaque. Toute la pièce était salement inondée, et si décrépite que l’eau avait dû commencer à couler dans la pièce en dessous. C’était sûrement le voisin qui avait prévenu Insoo. Sarang se dépêcha de remonter jusqu’au chauffe-eau pour couper l’arrivée d’eau, puis il vint s’agenouiller au bas du lavabo. Il se trempa le pantalon au passage, mais ce n’était pas grave, il avait la tenue prévue pour : un sweat trop large et si délavé qu’il oscillait entre la couleur bleu et grise, et un jean usé et déchiré vers le bas.

L’eau coulait du siphon, mais toute la canalisation était si ancienne qu’il ne s’agissait que d’une question de temps avant que les autres jonctions ne lâchent elles aussi. Puisqu’il avait tout son temps, Sarang arrangea le tout du mieux possible, avec du ruban de teflon et des joints en caoutchouc. Certains auraient sûrement détesté s’occuper d’une tâche pareille, mais lui aimait bien bricoler. Comme avec le sport, ça canalisait son esprit autrement plutôt agité, il en avait bien besoin.

Une fois terminé, il remit l’eau, vérifia que tout tenait comme il faut, rajouta un peu de joints à la base du robinet, et c’était bon. Enfin, presque, maintenant il fallait tout éponger.

Sarang était encore avec sa serpillère quand il entendit la porte de l’appartement s’ouvrir. Il laissa tomber sa besogne et rejoignit le salon avec un grand sourire.

« Salut ! » fit-il en s’essuyant les mains sur le bas de son sweat. « La catastrophe est presque complètement arrangée. Tu vas bien ? Crevé, je parie. »

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Le nom du propriétaire affiché à l’écran de son téléphone et déjà la boule au ventre. Il n’a pas reçu son chèque ? La facture a pourtant été réglée la semaine dernière - ou peut-être y a-t-il des travaux de rénovation de prévu dans la résidence et que le montant de la taxe sera plus élevé à présent ? Il suffit d’à peine une seconde pour qu’une tonne de questions lui monte au cerveau avant qu’il ne daigne répondre à l’appel. Bientôt il manque la chute en apprenant la raison de ce coup de fil. Une fuite d’eau. Une très grosse, au point où ses voisins du bas se retrouvent inondés à cause de lui. Il déraille. S’inquiète du prix qu’il devra à la fin du mois, en plus des dettes habituelles. Mais il se ressaisit au mieux et relève la tête en demandant de l’aide à Sarang. Vieil ami rencontré pendant son service militaire, il a toujours été à ses côtés depuis, même lorsqu’ils ont quitté les uniformes et sont devenu à nouveau de simples civils. Parfois Insoo regrette cette époque où il se sentait utile à la société, en plus du salaire bien plus élevé qu’il gagnait en rendant service à son pays. C’était plus simple de rendre ses dettes, il s’inquiétait moins de la sorte et sa mère dormait la nuit - - puis tout s’est transformé après, redevenant le fils que son père à abandonné, laissant une montagne d’impayé à sa famille. Les nuits sont devenues des nuits blanches au fil du temps et aujourd’hui encore, il est occupé au travail même lorsque l’eau coule à flot dans son appartement. Et il se déteste lorsqu’il implore son ami de l’aide - mais combien il lui en est reconnaissant, ça ne s’explique pas. Alors c’est tellement plus simple maintenant qu’il est rassuré, son travail est moins lourd à la charge en sachant que Sarang arrive chez lui et commence les réparations le temps qu’il termine sa nuit de livraison rocambolesque.

Il ouvre la porte de la résidence et monte les escaliers avec fatigue et lassitude. Il sait pourtant que le sommeil ne viendra pas, parce qu’il a encore abusé des médicaments, mais également parce que l’angoisse en lui est bien trop forte, même en sachant qu’on l'attend. Il ne traîne pas et ouvre rapidement la porte, lâchant ses affaires contre le canapé - d’une symétrie aussi parfaite que effrayante - et il entre dans le salon, chaussures retirées. Bien vite, il se sent désolé envers le garçon qui le rejoint, trempé de la tête au pied. Il a honte. « Mon Dieu… Qu’est-ce que je ne te fais pas faire ! Je suis navré, et il est tellement tard… Rentre chez toi maintenant, et prends une bonne douche. Tu vas être malade, désolé Sarang. Merci encore, et ce sont des mots bien faibles… » avoue-t-il.

« Tu as bien fait de m’appeler. »

Insoo était plus jeune que lui d’un an, mais il paraissait plus âgé, à cause de sa grande taille, mais surtout de son visage marqué par la fatigue, l’angoisse et les soucis. Sarang voyait bien que cette histoire de fuite avait plombé un peu plus une journée déjà exténuante. Il aurait pris à bras le corps d’autres de ses problèmes s’il ne savait pas déjà que son ami n’accepterait jamais. C’était comme un honneur quand Insoo lui demandait de l’aide, ça montrait qu’ils étaient suffisamment proches pour qu’il puisse se reposer sur lui au moins un peu. Quand il lui dit qu’il allait être malade, Sarang balaya son inquiétude d’un geste de la main.

« T’en fais pas pour ça. Je prendrais bien un thé par contre. »

Il lui glissa un sourire, mais au fond de lui, il se sentait surtout inquiet. Insoo n’allait pas bien ce soir, ça crevait les yeux, et il n’avait pas envie de partir en le laissant comme ça. Les questions s’enchaînaient dans sa tête, il doutait que ce soit seulement cette fuite qui l’ait inquiété à ce point. Est-ce qu’il avait eu des problèmes au travail ? Des problèmes d’argent ? Depuis quand n’avait-il pas dormi correctement ? Les craintes infusaient en lui comme s’ils étaient reliés. Il savait qu’il n’arriverait pas à obtenir toutes les réponses, qu’il n’en obtiendrait peut-être même aucune. Ce n’était pas grave, même s’il devait passer la soirée dans le silence, à n’offrir à Insoo qu’une épaule sur laquelle s’appuyer, il aurait quand même la sensation de servir à quelque chose.

Puisqu’après tout, il avait le double des clés, Sarang décida de faire comme chez lui et d’aller préparer deux tasses de thé à la cuisine. Il retomba alors sur le plat qu’il avait préparé. Avec son long moment de bricolage et nettoyage, et le retour d’Insoo, il l’avait zappé.

« Je t’ai fais a mangé, si tu veux. » dit-il en mettant l’eau à chauffer.

Quelques minutes plus tard, il tournait sa cuillère dans sa tasse en jetant des coups d’œil à Insoo. C’était dans ce genre de moment qu’il aurait aimé être capable de subtilité, de tact, et de tout cet art de la conversation qui permettait d’obtenir des réponses furtivement. Tant pis, il allait devoir se contenter de la technique de l’éléphant dans le magasin de porcelaine.

« Ils ne t’en demandent pas trop, au travail, j’espère ? Tu as l’air complètement épuisé. »

Au moins, cette technique avait un avantage. Si Insoo ne voulait pas parler, ça allait se voir immédiatement. Avant qu’il ne réponde, il ajouta quand même.

« T’es pas tout seul avec tes problèmes, d’accord ? Je suis là.»

Sarang lui fit un mince sourire, puis porta sa tasse à la bouche et se mit à siroter son thé.

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Le sourire dépasse la barrière de ses lèvres, c’est immédiat lorsque la douce voix de son ami résonne. L’amitié entre eux est arrivée si naturellement qu’elle en réchauffe encore la poitrine aujourd’hui - sincère et simple. D’une beauté telle qu’ils semblent parfois être un vieux couple plus que des amis ; toujours là l’un et l’autre, à se rendre service sans demande de reste, s’offrant quelques fois des accolades chaleureuses. Mais c’est hélas toujours difficile aux yeux du plus jeune d’être dans le besoin, incapable de vivre sa propre vie sans l’aide de son aîné. Il se sent un peu plus mal à chaque fois et il s’enfonce davantage dans la ronde de ses sentiments infernaux. Épuisé, fatigué. Pourtant il ne se plaint pas et se contente de dire merci dès que l’occasion se présente ; mais Sarang n’est pas du même avis que lui, lui rappelant à quel point il est normal d’être aux côtés de ses amis lorsque les galères arrivent - - et elles sont fréquentes chez Insoo. À croire que dans sa vie antérieure il était un monstre et qu’aujourd’hui, réincarné, il en paie le prix fort. « Du thé ? Tu n’en as pas suffisamment bu ? » Rire cristallin qui résonne. C’est de plus en plus rare - ça étonne même - mais la blague dédramatise la situation. De ses yeux, il suit le garçon du regard, il ne rate aucun de ses mouvements mais très vite il détourne son attention vers le plat déposé contre sa table. Ce n’est pas à lui et pourtant il a été déposé si symétriquement qu’il en doute presque, bien que son interrogation s’éteint lorsqu’on lui annonce être responsable de la gourmandise qui pend au nez. « J’ai pas vraiment appétit, mais je vais faire un effort. Ça semble délicieux et tu cuisines si bien que mon ventre gargouille presque ! » avoue-t-il en tapotant sa panse. Il est touché. Toutes ses petites attentions dont fait preuve Sarang à son égard, ça le touche profondément et il se promet de lui rendre l’appareil quand les beaux jours arriveront. Insoo à perdu la notion du temps et si l’homme n’était pas à ses côtés, il ne mangerait pas encore aujourd’hui. La faim, il n’en a plus vraiment la sensation, d’autant plus lorsqu’il passe son temps à faire des livraisons ; les odeurs chatouillent les narines, mais les papilles ne se régalent pas.  « J’ai fait des heures supplémentaires cette semaine. » Haussement d’épaules alors qu’il ouvre le plat. « J’essaie d’être libre vendredi dans la soirée. J’ai un… rendez-vous ? Avec une femme. Elle est douce. » Sourire qui débarque sans qu’il ne s’y attende - il se cache bien vite, montrant son dos à son ami sous le prétexte de mettre le plat au chaud. « Mais ouais, je sais que tu es là. Merci d’ailleurs. Je suis là aussi si t’as besoin. Je prends jamais le temps de te le dire, mais je le pense vraiment. » C’est réciproque. L'inquiétude envers lui est similaire.

Un sourire se dessina sur le visage fatigué d’Insoo, et Sarang se sentit aussitôt plus léger. Soulagé de voir que son cadet n’avait pas perdu sa bonne humeur. Lui aussi éclata de rire à sa blague – il n’avait pas tort, il avait eu son quota de flotte pour la soirée. Enfin, l’histoire du thé avait surtout servi d’excuse pour rester un peu. Et il avait bien fait, Insoo lui avait paru soucieux lorsqu’il était arrivé, mais finalement, il allait mieux qu’il ne l’avait craint. Il était rassuré. Tandis qu’il préparait le thé, son camarade regardait le plat qu’il avait laissé en évidence en complimentant sa cuisine. Il eut un de ces sourires bêtes dont on n’arrive pas à se débarrasser.

« C’est juste un plat tout simple, mais vas-y, régale-toi. Il te faut des forces. »

Tel un grand frère un poil trop protecteur, Sarang regarda Insoo se servir. S’il n’avait pas d’appétit, c’était sans doute qu’il mangeait un peu n’importe comment. Raison de plus pour lui apporter de bons petits plats de temps à autre. C’est alors que son ami lui avoua qu’il avait travaillé un peu plus dur pour pouvoir passer du temps avec… une fille !

« Oh oh ! » fit aussitôt Sarang.

Un grand sourire aux lèvres – décidément, c’est la soirée – il pencha la tête sur le côté pour tenter de voir le visage d’Insoo, mais celui-ci lui tournait résolument le dos.

« Douce, tu dis ? » Il essaya de se représenter une femme qui collerait à cet adjectif, mais sa base de données de filles n’était pas très fournie, tant pis. « De la douceur, ça ne peut que te faire du bien. Tu me raconteras j’espère ! »

Sarang se mit à siroter son thé tout en posant sur Insoo un regard pétillant. Il était ravi de savoir qu’il allait faire une nouvelle rencontre, et espérait qu’elle soit aussi gentille que son ami semblait le penser. Celui-ci ajouta ensuite qu’il était là pour lui également, et Sarang commença par hocher la tête.

« Je sais, tu me l’as montré plus d’une fois. »

Subitement, une pensée lui vint à l’esprit et il posa sa tasse. Son sourire avait disparu.

« Ma mère… m’a envoyé une lettre, y’a quelques semaines. Ma mère biologique, je veux dire. J’aurais dû t’en parler, mais pour tout avouer, je l’ai balancé dans un tiroir et un peu oublié moi-même… »

Il resta silencieux un instant, avant de secouer la tête et reprendre sa tasse.

« Je sais pas à quoi elle pensait en faisant ça. »

Avec une autre personne, Sarang s’en serait voulu de plomber l’ambiance. Là, c’était un peu plus facile, même s’il aurait préféré avoir de bonnes nouvelles à annoncer comme Insoo.

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C’est simple. Sans prise de tête - juste une amitié où complicité rime avec entraide : conclusion qu’il tire alors qu’il s’installe et ouvre le plat soigneusement emballé. Son ventre ne gargouille pas, mais l’envie surprend lorsque ses yeux découvrent la merveille. Vient un peu plus tard, en préparant la table, les confidences, ô si rares qu’elles en deviennent immédiatement intrigantes ! Et le sourire qui s’accroche tout de suite à ses lèvres ne freine pas la curiosité, bien au contraire, il attise la flamme qui se fait plus grande, plus intense - le visage de son ami se fait tout de suite taquin, mais les paroles qui suivent le mouvement sont celle d’un grand offert à son plus jeune frère : bienveillantes. « Oui, je pense que j’en discuterai avec toi. J’espère que ça ira. Que je ne ferai pas trop pouilleux ou maladroit. » souffle-t-il. Il baisse les yeux, soudain plongé dans un état nostalgique. Ses pensées se dirigent vers l’unique femme de sa vie. « Des fois je me dis que je ne mérite pas d’être heureux… » Le murmure est à peine audible, la plainte quant à elle est pourtant si lourde que sa poitrine se resserre instantanément. Il a mal. Terriblement mal - - et elle lui manque tant, sa défunte amie. « Tu penses que j’ai le droit ? » demande-t-il sans intérêt envers la réponse qu’il obtiendra. « Si j’avais le droit, j’aurai pas cette vie. Tu ne crois pas ? » Bien évidemment, il ne s’en plaint pas, il n’est pas malheureux en totalité ; c’est seulement certains aspects de sa vie qu’il voudrait différent. Et sans même attendre la réponse, son attention se dirige vers Sarang qui lui conte les déboires de sa propre vie. Sa gorge se resserre. « Tu as lu la lettre ? » Il sait que c’est douloureux, que son ami n’a parfois pas la force - qu’ils se ressemblent.  « Qu’est-ce qu’elle disait ? »

Un sourire se dessina sur les lèvres de Sarang quand le regard de celui qui disait ne pas avoir faim s’illumina en voyant le plat. Pour lui, ça valait tous les compliments du monde. Les paroles qui suivirent, il lui semblait les avoir entendues mille fois de la bouche d’Insoo. Son cadet avait toujours eu une tendance maladive à se dévaloriser. Comment pouvait-il se trouver pouilleux ou maladroit ? C’était une énigme pour lui. On aurait dit qu’il était aveugle à toutes ses qualités.

« Ça ira, j’en suis sûr. Et puis le plus maladroit ici c’est moi. » Dit-il avec un rire.

C’est sûr que pour ce qui était de mettre les pieds dans le plat, Sarang avait la palme. Il ne comptait plus les fois où il avait mis un froid dans une conversation ou récolté des regards courroucés après avoir été trop franc et direct dans une conversation. Sur d’autres points, ils étaient semblables, Sarang aussi avait longtemps cru qu’il ne méritait pas d’être heureux, encore moins d’être aimé. Ils ne l’exprimaient pas de la même façon, lui avait eu beaucoup de colère en lui, un sentiment d’injustice qu’il avait mis longtemps à dompter, mais dans le fond, c’était pareil.

« S’il y a bien quelqu’un qui mérite le bonheur, c’est toi. »

Une fois encore, Sarang eut envie de pouvoir porter un peu du fardeau de son camarade. C’était déchirant de le voir se questionner sur son droit au bonheur, alors qu’il était l’un des garçons le plus pur et gentil qu’il ait jamais rencontré.

« La roue finira par tourner. »

Il aurait aimé trouver plus de mots d’encouragement, mais il fallait bien avouer que depuis qu’il le connaissait, la poisse avait tendance à s’accrocher à ses chaussures. C’était tellement injuste de voir le destin s’acharner comme ça.

Sirotant son thé, c’est finalement Sarang qui se mit à se confier en quelques mots. Il n’y avait qu’avec Insoo qu’il évoquait parfois sa mère. Même ses parents adoptifs ne savaient pas qu’elle le contactait de temps à autre. Avec Insoo, il était en confiance. Il avait l’impression qu’ils pouvaient se comprendre parce que, tout comme lui qui subissait les écarts de sa mère, son ami payait pour les fautes de son père. Littéralement. Les mots avaient quand même un peu de mal à sortir, et il commença par hausser les épaules d’un air désabusé.

« Elle me demande de la pardonner, encore, et elle voudrait me voir. Mais c’est au-dessus de mes forces. On m’a toujours dit que c’était une victime aussi, que l’alcool, la drogue, c’est un cercle vicieux, mais j’ai pas complètement oublié comment elle me traitait. J’aurais pu en mourir, vraiment, et c’est pas quelque chose qui s’efface avec un mot d’excuse. »

Comme il n’avait pas envie de s’appesantir sur le sujet, il remit un sourire sur ses lèvres et reprit.

« Mais parlons plutôt de toi. Où tu comptes aller avec cette fille ? Et qu’est-ce que tu vas mettre comme fringues ? C’est important, la première impression. Ça se fait encore de donner un cadeau à son rencard ? »

À vrai dire, Sarang n’y connaissait pas grand-chose en la matière. Sans doute à cause de son enfance chaotique, il avait du mal à identifier ses émotions, en particulier l’amour. Cela dit, il avait été abordé plus d’une fois par des personnes diverses, du coup il n’était pas totalement dépourvu d’expérience.

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Ses yeux se baissent, le mouvement est instantané. Il tremble presque à l’écoute des mots réconfortants de son ami. Malheureusement, il n’en croit pas une phrase. Au contraire, ça le conforte dans l’idée qu’il est un loup dissimulé en brebis, et ça l’effraie au plus haut point ; lui qui se venge au quotidien, même lorsqu’il s’imagine loin des maux créés à la mort de Suji grâce à une nouvelle âme, bafouant toute l’éducation qu’il a reçu de sa tendre mère. Alors il a le sourire triste, Insoo, mais il le cache rapidement, de sorte à ce que Sarang ne s’inquiète pas plus qu’il ne l’est déjà. Il se sent si chanceux d’être lié à lui - précieuse amitié qui lui sauve la vie. « Tu ne sais pas tout Sarang. J’ai fait des choses terribles. » avoue-t-il en haussant les épaules comme s’il ne savait décidément pas s’il y a le droit. Il est persuadé que même dans sa prochaine vie, la vie sera difficile, tachée à cause de toutes les actions qu’il fait dans celle-ci. La suite de ses paroles n'arrive jamais. Il ne veut pas en dire plus, peut-être parce qu’il n’a pas envie d’en faire son complice, mais surtout parce qu’il est effrayé à l’idée que l’image qu’il reflète aux yeux du blond soit entachée - - c’est le silence qui poursuit ses mots, prenant couverts et verres. Il fait mine de rien et c’est un soulagement lorsque Sarang change de conversation. Elle n’est pas plus joyeuse, mais égoïstement, il est heureux de ne plus être le centre de la conversation. « Je suis d’accord avec toi, mais… » Il penche la tête. Il cherche les meilleurs mots, ne souhaite pas être brusque dans ses paroles. « Cette deuxième chance est une occasion unique. Le pardon, il n’est pas obligatoire, c’est évident que c’est inoubliable et que ça t’a construit, mais une mère… On n’en a qu’une, n’est-ce pas ? Tu ne t’en voudras pas dans dix ou vingt ans ? Répondre à cette lettre, ça ne te coûte rien, ou très peu si on compare ce qu’à provoqué en toi son abandon… Je veux dire, tu n’attends plus rien d’elle, n’est-ce pas ? Alors pourquoi ne pas lui dire ce que tu penses ? » Ses mains atterrissent dans sa nuque. Il se gratte, incapable de connaître les pensées qui traverse son ami. Le silence est terrible. « Si mon père m'écrivait une lettre, je serai terriblement en colère mais je répondrai parce que, même si ça ne mène nulle part, je veux lui dire ce qu’il a laissé derrière lui et les conséquences que ça implique. Et s’il me demande pardon, il ne l’aura jamais, mais je crois que… ça reste mon père, je l’aime au fond de moi, alors je garderai contact. » Mais ce n’est qu’une hypothèse. La pratique est une autre chose et il est difficile de se mettre à la place de Sarang. Il aimerait le comprendre, ça le trouble même lorsqu’il change de sujet. Que pense-t-il réellement ? « J’ai été cache dès le départ en lui disant que je suis plus proche de la pauvreté que de la richesse. » soupire-t-il. « Alors on se retrouve chez moi, et ne va pas croire que c’est parce que le lit est à côté ! C’est pas mon genre du tout… Du tout ! » assure-t-il, affolé. Il rigole de l’absurdité de ce rendez-vous. Il n’y a rien qui va, avant même que ça ne commence. « Je sais pas niveau fringues, j’ai rien de classe je crois… Tu peux look dans le placard si tu veux. Juge ma penderie Choi Soonhwa. » Proposition qu’on ne refuse pas lorsque l’on est comparé à une icône.

Des choses terribles ? Sarang fut aussitôt intrigué en entendant ça, mais Insoo ne semblait pas vouloir approfondir la question. Il le connaissait assez pour sentir que ce n’était pas le moment d’en parler. Ça viendra peut-être plus tard, mais il s’interrogeait quand même, se demandant si sa situation financière l’avait poussée à tremper dans quelque chose de pas très net. Ou alors, ce pourrait être en rapport avec le drame amoureux que son ami avait dû traverser. Cette âme sœur qu’il n’a pas connue, mais qui semblait parfois présente, comme une ombre au tableau.

Insoo ne regagna un semblant de sérénité que quand la discussion bascula sur lui. Ce n’était pas facile, mais ça faisait quand même du bien d’en parler avec quelqu’un, et surtout avec lui. Leurs histoires familiales, aussi difficiles qu’elles puissent être, se rapprochaient un peu. Sarang écouta attentivement les paroles pleines de sagesse de son camarade, parce qu’il savait qu’il comprenait sa situation mieux que n’importe qui d’autre. Certes, il pouvait difficilement parler d’amour filial pour quelqu’un dont il se rappelait nettement la voix mais pas le visage, mais au sujet de la lettre, il pouvait bien se laisser convaincre.

« Comme souvent, tu es plus raisonnable que moi. » Fit-il avec un sourire triste. « C’est vrai que je n’ai rien à perdre, et au moins elle saura par quoi j’ai dû passer. Je ne pense pas qu’elle en ait la moindre idée. Ça va être dur de mettre tout ça sur papier, mais je vais essayer. Peut-être que ça me fera du bien au final. »

Il n’était pas dur à convaincre, lui qui réagissait plus à l’émotion qu’à la réflexion trouvait bénéfique d’avoir quelques personnes capables de tempérer ses ardeurs et lui montrer d’autres voies possibles. Le pardon n’arrivera peut-être jamais, mais ça n’empêchait pas l’échange. Insoo lui dit ensuite qu’il avait été franc avec son futur date, chose qu’il ne pouvait qu’approuver, mais avant d’avoir pu répondre, Sarang éclata de rire en l’entendant insister sur le fait qu’il n’allait rien se passer de graveleux pendant ce rendez-vous.

« Non, ça c’est pas ton genre, c’est le mien. Le dernier mec que j’ai invité chez moi a fini dans mes draps. » Il secoua la tête. « Ce crétin de Ren, il me la fait à l’envers à chaque fois, et le pire c’est que ça marche. »

Il y en aurait, des choses à dire là-dessus, mais l’important n’était pas cette soirée passée mais celle à venir, pour Insoo.

« On regardera tes fringues quand tu auras fini de manger. Tu vas lui préparer un bon petit plat du coup ? Ou ça va être pizza-Netflix ? » Il réfléchit un instant. « Ce serait pas très glamour, la pizza, mais bon j’ai jamais dragué de filles. Je crois que je ne vais pas être de très bon conseil. J’ai les vieux clichés du repas à la bougie, avec nappe blanche, roses rouges et champagne… » Un éclat de rire franchit ses lèvres. « J’imagine que tu pars sur quelque chose de plus simple, et de moins daté. »

Il voyait vraiment très mal Insoo sortir le grand jeu de cette façon. Ça ne serait pas très naturel. Ce fut un peu plus clair encore quand Sarang jeta un coup d’œil dans ses placards, une fois le repas terminé. La tenue de prince charmant était loin de faire partie de l’attirail de son ami.

« Ah ouais, t’as vraiment la penderie du mec qui veut passer inaperçu. » Il regarda Insoo de haut en bas. « Je le savais déjà, mais je pensais que tu gardais peut-être des choses en réserves pour les grandes occasions. »

Pas de grandes occasions de prévues, visiblement. Enfin, Sarang n’allait pas se laisser démonter. Il était trop petit pour pouvoir lui prêter des vêtements, il fallait faire avec l’existant. Bientôt, les pantalons et les hauts qu’il jugeait pas trop mal se retrouvèrent sur le lit, puis il les retria méthodiquement jusqu’à ce qu’il ne reste plus que quelques tenues possibles. Il avait l’air dans son élément, et finit par plaquer un t-shirt sur Insoo pour voir ce que ça donnait.

« Y’a des vestes à l’agence qui iraient trop bien sur toi avec ce haut. Je me demande si je vais pas en emprunter une… »

C’est sûr qu’il y avait ce qu’il fallait de vêtements là où travaillait Sarang, et il était assez courant que certains disparaissent pour quelques jours, avant de regagner leur place. Difficile de résister face à tant de choix. Cela dit, il ne voulait pas non plus que son ami se sente mal à l’aise à cause de ça. C’était super qu’il ait ce rendez-vous, et tout ce qu’il voulait était que ça se passe du mieux possible.