« C’est bon, on y va ? »

C’était la troisième fois que Sarang posait la question en moins de cinq minutes. En ce début d’après-midi, lui et Ren venaient de descendre dans un hôtel luxueux en plein cœur de Séoul, mais il n’était absolument pas intéressé par l’immense suite princière qu’on lui avait dégoté pour le week-end. À peine sa valise posée dans un coin que Sarang voulait partir à l’aventure. Après tout, c’était la première qu’il se rendait au festival des lanternes de lotus. Il avait déjà tout ce dont il pourrait avoir besoin dans son sac à bandoulière, et son appareil photo était accroché à son cou.

Fait notable, Sarang portait aujourd’hui ses propres vêtements. Incroyable, non ? Comme c’était lui qui avait eu l’idée de cette virée, il avait préféré ne pas trop tirer sur la corde. Déjà que Ren le trouvait culotté. Et pour ne pas attirer l’attention, il avait aussi opté pour quelque chose de très sobre, une simple chemise blanche et un jean. Avec les racines noires de ses cheveux qui commençaient sérieusement à empiéter sur le blond, il ressemblait donc presque exactement à ça.

Spoiler:

Là où il allait, avec toutes les couleurs qu’il y allait avoir, il serait aussi discret que s’il avait porté une cape d’invisibilité. Pour s’occuper les mains, il vérifia qu’il avait bien dans son sac son argent, ses lunettes de soleil et sa bouteille d’eau. Il bidouilla ensuite son appareil photo, vérifiant que la batterie était pleine et la carte mémoire vide. Pour être sûr qu’il était bien réglé, il le leva alors et fit apparaître Ren dans le petit écran. Avec un *clic*, il prit alors sa première photo de la journée.

« Ma-gni-fique. » Fit-il avec un sourire en regardant le résultat.

L’appareil était bien réglé, ou alors c’était juste Ren qui était beau quoi qu’il arrive. Il regarda la photo quelques secondes, avant de s’intéresser à nouveau au vrai Ren.

« Allez, cette fois c’est bon. On va commencer par une petite balade dans le parc Namsan, histoire d’y aller doucement. Et après direction le temple Jogyesa. Il va y avoir des tas de trucs à voir et à faire. Ça va être génial ! »

Pas sûr que son camarade partage son enthousiasme, mais c’était trop tard pour lui, ils étaient déjà sur place. S’il avait réussit à le traîner jusque-là, il pouvait le traîner jusqu’au bout du monde. Sarang mit la carte magnétique de leur chambre dans son portefeuille, attrapa Ren par la manche et l’emmena dans le couloir. Ça sentait le luxe là aussi, mais il n’en avait toujours rien à faire. Même dans l’ascenseur il sautillait presque sur place tant il était content d’être à Séoul. Le temps, en plus, était au beau fixe, il faisait doux et ensoleillé, c’était parfait puisqu’ils allaient passer presque toute l’après-midi dehors.

« Que des lanternes ? » Sarang regarda Ren avec la même incompréhension que lui. « À t’entendre, on dirait que t’as jamais vu aucune image de ce festival. M’enfin, tu verras bien. »

Que des lanternes, un petit festival, il se demandait bien comment Ren avait pu passer à côté d’un évènement aussi connu et reconnu, mais il fallait croire qu’il y était parvenu. Peut-être qu’en Corée aussi il avait vécu dans une « bulle » semblable à celle qu’il avait pu voir au Japon. Enfin bref, Sarang n’en dit pas plus sur le sujet alors que l’ascenseur s’ouvrait sur le rez-de-chaussée. Quelque chose d’autre attirait son attention.

« Jolie chemise. »

Il ne savait pas trop ce qu’il aimait le plus, la chemise noire transparente qui laissait deviner de bien jolies courbes, ou les trois ceintures qui mettait bien en valeur sa taille, ou les jolies mèches de cheveux qui encadraient son doux visage, ou le doux visage lui-même, ou le pantalon bien cintré qui mettait en valeur le bas de son dos, qu’on appelle postérieur, ou… Non mais en fait, on va faire simple, il était divin. Juste. Divin. Ce qui ruinait ses plans, d’ailleurs. Sarang avait eu l’idée d’être discret, mais il ne s’était pas rendu compte que son stratagème avait une grosse faille. Quel intérêt de s’habiller avec quelque chose de très classique et sans fioritures si c’est pour marcher à côté de Mister Sexy Korea 2022 ? Adieu, cape d’invisibilité, ils allaient attirer tous les regards.

« Tu savais que j’allais amener mon appareil ou c’est juste pour me faire plaisir ? On dirait que tu vas faire un shooting. »

À peine arrivé dehors, Mister Sexy commençait déjà à se plaindre, il voulait un café, et se demandait jusqu’où il allait l’entraîner comme ça. En vrai, l’histoire du tour du monde ferait presque envie s’il n’avait pas lui aussi des obligations. Mais ce n’était pas l’important.

« Tu râles, mais tu vas pas me faire croire que t’es fâché d’être là. Je t’ai pas forcé la main, je te rappelle. »

Il était presque tenté de reparler de kidnapping, mais il savait déjà que Ren allait lui rétorquer qu’il n’avait pas détesté ça non plus. C’était peut-être le fait de vivre ensemble, mais ils commençaient à se connaître. S’en deviendrait presque troublant. Songeur, Sarang avançait dans une direction prise un peu au pif, et bifurqua dans une rue pleine de grandes enseignes. Magasins, cafés et restaurants à foison.

« On va commencer par te prendre ton café. »

Une des choses qu’il avait vite apprise en vivant avec Ren, c’était l’importance de la caféine dans son régime alimentaire fracassé. En fait, le café semblait plus vital que la nourriture pour lui. Soucieux de son bien-être, il préférait donc s’occuper de ça sans le faire attendre. De toute façon, ils avaient le temps. Les lanternes, c’était nettement plus joli à regarder le soir, quand la lumière commence à baisser. Ils avaient donc pas mal d’heures devant eux pour jouer les touristes. Après être passé devant plusieurs établissements, il se laissa séduire par un café qui ressemblait un peu à ce qu’il avait pu voir à Paris, avec un nom en alphabet latin assez imprononçable. Sarang se défendait en anglais, mais clairement, là, c’était une autre langue, avec des accents et tout. Bref, il entraina Ren jusqu’à une petite table ronde, et regarda la carte.

« Fais-toi plaisir, c’est moi qui invite. »

Il eut un sourire en disant ça, vu comment son cadet était nettement plus riche. Mais en même temps, ça avait quand même quelque chose de gratifiant. Depuis leur escapade au Japon, Ren lui avait offert tellement que ça en devenait presque gênant. Il n’avait pas envie de vivre à son crochet ou profiter gracieusement de cette opulence, mais l’équilibre était difficile à trouver.

« Pour moi, ce sera un cappuccino. »

Sarang se laissa aller contre le dossier de son siège, son sourire refusait de le quitter. En attendant le serveur, il se remit à tripoter son appareil photo.

« Il y a des choses que tu voudrais voir à Séoul ? Un musée ou autre ? On a le temps, après tout. »

Alors on avait donné à Ren une tenue spéciale pour qu’il se pavane dans les rues ? Mannequin sauvage, Sarang n’avait jamais entendu parler de ça. Tout ce à quoi ça lui fit penser, c’était ces gens qui collaient des pubs sur leur voiture pour gagner quelques sous, mais la seule marque apparente dans la tenue du mannequin était un minuscule YSL sur l’une de ses ceintures, ça n’allait pas être très facile à repérer.

Et voilà que son cadet lui parlait d’amour. Ça aussi, il l’avait vu venir. Comment aurait-il pu en être autrement après leur dernière conversation par sms ? Sarang, une fois encore, avait été trop bavard, trop ouvert sur ses ressentis, aussi confus qu’ils puissent être. Était-il amoureux ? Sa réponse était toujours la même. Peut-être. Il y avait quelque chose, c’est sûr, quelque chose de fort et de troublant, mais en même temps il n’en attendait rien. Il avait bien retenu que l’autre ne voulait pas l’aimer, et ça ne le dérangeait pas. Il l’acceptait. En fait, c’était Ren qui lui compliquait les choses, parfois il disait qu’il y avait une alchimie entre eux qui faisait qu’il n’avait pas envie d’aller voir ailleurs, et parfois c’était tout le contraire. Peut-être était-il aussi perdu que lui, dans le fond ? Difficile à savoir. En attendant, il se contenta d’un sourire et d’un haussement d’épaules.

« Quitte à être foutu, autant faire de jolies photos. »

À nouveau, Ren l’étonna en lui disant qu’il était venu là pour lui faire plaisir, mais qu’il n’aimait pas ça. Aurait-il fait pareil avec n’importe qui d’autre ? Ça semblait peu probable. En tout cas, s’il avait su, il ne l’aurait pas fait venir.

« Merci, mais tu aurais dû le dire, je t’ai pas invité pour que tu passes un mauvais moment. » Avec douceur, il replaça la mèche de cheveux de son cadet derrière son oreille. Ça avait été plus fort que lui, même s’il savait bien qu’il ne devait pas être trop équivoque en pleine rue. « Prochaine escapade, c’est toi qui choisiras. »

Ça allait être dur de ne pas se montrer trop tactile avec un Ren habillé comme ça, mais bon, il y aura bientôt plein de lanternes partout, ça devrait lui occuper les yeux. En attendant, les voilà qui s’arrêtaient dans un café, et à nouveau quelques mots suffirent à faire éclater leurs différences. Du café froid, sérieusement.

« Il faut se faire plaisir, au contraire, surtout toi. Le peu de choses que t’avale, savoure-les, au moins. »

Des fois, Sarang avait l’impression que si Ren mangeait, c’était juste pour ne pas s’écrouler. Pour lui qui adorait se faire plaisir de ce côté-là, c’était assez incompréhensible. D’accord, c’était un mannequin, mais tout de même… La remarque de son cadet sur son appareil photo lui fit aussitôt avoir un petit air taquin.

« Jaloux ? » Lâcha-t-il avec un mince sourire avant que la dernière réplique de son cadet lui arrache un rire. « Je suis attirant ? Là-dedans ? » Il regarda sa pauvre chemise. « Autant dire que je pourrais porter n’importe quoi, ça te plaira quoi qu’il arrive. »

Le serveur arriva, et peu de temps après avoir pris leurs commandes, il revint avec. Sarang bu une bonne gorgée de son cappuccino, et la mousse de lait lui laissa une jolie moustache. Il ne la remarqua pas parce qu’il avait sorti son téléphone pour regarder un plan de la ville.

« On va prendre le métro jusqu’au parc Namsan, c’est le plus simple. Ça devrait être joli, avec pas mal de fleurs et de… bah, lanternes. » Il se reprit un peu de sa boisson. « Bon, y’a un téléphérique et la tour de Séoul à voir, mais… ça à l’air haut. J’aime pas trop l’idée. »

L’œil toujours posé sur son téléphone, il croqua le petit biscuit qu’on lui avait donné avec sa tasse. Ce n’était pas vraiment qu’il avait le vertige, mais il se sentait quand même clairement mieux avec les deux pieds posés sur la terre ferme. Une fois le trajet trouvé, il rangea son téléphone dans sa poche, et regarda Ren, puis sa tasse.

« Tu vas pas manger ton biscuit, si ? »

Le gaspillage alimentaire, c’est mal, et Sarang comptait bien se dévouer pour empêcher ça.

« C’est toi qui dis que c’est une mauvaise chose pour moi depuis le début. »

Comme souvent, Sarang avait confiance en ce qu’on lui disait. Lui n’avait jamais été amoureux, et l’autre semblait avoir de bonnes raisons de parler comme il le faisait. Pourtant, il essayait quand même de la lui faire à l’envers avec sa question.

S’il se montrait secret et négatif pour tout ce qui était sentimental, Ren ne cachait rien de l’attirance qu’il avait pour son corps une fois de plus. Installé à leur table, il ne cessait de lancer des taquineries, jouant de tous ses charmes. Sarang le laissait dire, un sourire aux lèvres. C’était amusant de voir que le fait de vivre ensemble n’avait pas refroidi les ardeurs de son jeune amant. Amusant et flatteur. Bien sûr, ils avaient tous les deux des emplois du temps bien garni, mais tout de même. Ren pouvait l’avoir quand il voulait, et pourtant il était frustré de devoir rester sage pour une après-midi. Quoique c’était peut-être ça le problème. Avant, quand ils se croisaient, ils n’y allaient pas par quatre chemins. Maintenant, ils pouvaient se permettre d’y aller plus lentement, mais visiblement, Ren avait du mal à calmer sa gourmandise.

« Ma peau n’est pas à plaindre, c’est sûr. Oh, mince… » Il prit la serviette et s’essuya la bouche. « Voilà, c’est mieux ? »

C’était soudain Ren qui était pressé, sans qu’il ne sache pourquoi. Il liquida son café sans même respirer alors qu’il lui avait bien dit de savourer, et Sarang eut tout juste le temps de poser l’argent sur la table qu’il partait déjà. Il le suivit alors qu’il le menait vers l’entrée du métro sans véritable hésitation. Apparemment, il connaissait le coin.

« Le courage n’est pas l’absence de peur. » Fit-il en prenant un air entendu à sa remarque sur la hauteur. « Nelson Mandela. Et oui, t’es grand, mais pas au point de me donner le vertige. Pas ce genre de vertige, du moins. »

Le trajet en métro se fit rapidement et sans encombre, en passant par station Myeongdong sortie 3, ils se retrouvèrent au bas du mont Namsan.

« Oooh ! »

À peine quelque pas dans le parc suffisait pour être entouré de couleurs. C’était exactement comme il l’avait dit, beaucoup de fleurs de toutes sortes poussaient dans de grands parterres, puisqu’ils étaient en plein milieu du printemps, et de belles lanternes étaient installé un peu partout pour le festival. Il y avait du monde aussi, des familles, des couples, des touristes auxquels il ressemblait beaucoup, il est vrai. Beaucoup se tournaient pour les regarder, surtout des jeunes femmes.

« Je crois que les gens veulent te manger, mais je te protégerais s’ils essaient. »

Sarang ne pensait pas une seconde que ça pouvait aussi être lui qu’on regardait. Pour lui, c’était clairement, Mister Sexy et sa chemise qui étaient l’unique objet de toute cette attention. Il faisait son job de mannequin sauvage.

Il y avait beaucoup d’itinéraires possibles en partant du bas de la montagne. On pouvait carrément faire de vraies randonnées, mais le chemin que choisit Sarang grâce à son téléphone était relativement court. Il voulait juste monter jusqu’au pied de la tour.

« On va avoir une super vue sur Séoul de là-haut. » Fit-il en montant des escaliers. « Stop ! Bouge plus ! » En quelques pas, il se décala de Ren, brandit son appareil photo et captura une nouvelle image « Parfait ! »

La montée se passa ainsi, ils marchaient de plus en plus haut, et très régulièrement, Sarang photographiait Ren, le paysage, et Ren. Chaque minute la ville se faisait plus petite, et la tour plus grande. Pour lui, c’était une super balade, mais il jetait très souvent des regards à son cadet en espérant qu’il ne passe pas un trop mauvais moment lui non plus. Alors qu’il commençait à voir le bout du chemin, un autre truc coloré attira son regard. Les rambardes qui sécurisaient la voie se retrouvèrent couvertes de cadenas multicolores. En allant voir de plus près, il vit toutes sortes de petits messages écrits dessus, et compris que tout ce bordel avait été laissé là par des couples de passage.

« Ah, on est dans un endroit romantique apparemment. »

Sarang était-il romantique ? Et bien, s’il fallait accrocher des cadenas partout, pas vraiment. Il ne voyait pas trop l’intérêt, et préféra s’appuyer sur la rambarde pour regarder la ville une fois encore.