Le taxi déposa Sarang à l’entrée d’un parking saturé de voitures de luxe. Tout au bout, dans le soir qui descendait, une immense villa déjà illuminée l’attendait. Loin du style coréen, c’était une de ces maisons d’architecture moderne, avec beaucoup de béton nu et de grandes vitres, des formes géométriques, des statues d’art contemporain. Il ne put retenir une grimace, il détestait ce style. Il partait aussi avec la certitude qu’il allait détester ces gens, détester le boire et le manger. Peut-être aimera-t-il au moins la musique, c’était un bal, après tout. Bon, il faut avouer, Sarang partait avec de gros a priori, et c’est presque à reculons qu’il franchit le portail de l’immense propriété. Comme on le lui avait si bien fait remarquer il y a quelque temps déjà, tout ça, ce n’était pas son monde. Et en plus, il n’avait pas du tout la tête à faire la fête. L’unique raison de sa présence ici tenait en trois lettres : Ren.

Ce crétin.
Alors qu’il s’avançait vers escaliers où traînaient quelques fumeurs en petits groupes, il accrocha sur son visage la pièce manquante de sa tenue, le masque. Parce que c’était un bal masqué, la seule chose un peu intéressante de cette soirée de bienfaisance. Physiquement au moins, il était dans le moule, peut-être même un peu au-dessus du lot. Son costume parfaitement cintré était noir, mais parcouru de fines lignes bleu brillant, son masque bleu et or s’accordait plutôt bien. Il avait également un fin ruban de soie noire noué autour du cou. Ses cheveux avaient changé. Ils s’étaient raccourcis, et avaient passé d’un blond somme toute classique à quelque chose de presque blanc.

Sarang était en retard, c’était voulu. Il avait sans aucun doute raté le discours de bienvenue et les politesses. Quand il entra dans la vaste pièce où se passaient l’essentiel des festivités, elle était noire de monde. Tout le centre était occupé par des gens qui dansaient. Il croisa pas mal de regards, se demandant si les gens le reconnaissaient, ou s’il était censé les reconnaître. Il refusa la flûte de champagne qu’un serveur lui présenta. Son regard se mettant aussitôt à glisser sur les gens et leurs tenues. Il ne savait pas ce que Ren portait, mais il connaissait assez les courbes de son corps pour les dessiner dans le noir. D’autres serveurs tentèrent de lui remplir les mains de verres et d’amuse-gueules, mais il les repoussait sans même les regarder. À devoir sans cesse slalomer entre les gens, il lui fallut un peu de temps pour faire le tour de la pièce. Il n’était visiblement pas là, mais Sarang remarqua qu’un grand mur vitré donnait sur une cour intérieure où d’autres personnes s’étaient rassemblées, debout ou assises. En s’approchant, son cœur manqua un battement. Il avait fini par le trouver. Juste derrière la vitre.

Le danseur passa plusieurs secondes à le regarder, en apnée totale, avant de se ressaisir. Nerveusement, il longea le mur jusqu’à la sortie et déboula dans la cour, claquant sans le vouloir la porte un peu trop fort. Ça lui attira quelques regards, mais lui ne s’intéressait qu’à une seule personne. Son cœur accéléra.

Ça allait être la merde, il le sentait venir à des kilomètres. Une semaine et demie qu’ils ne s’étaient pas vus, ni même parlé. Une semaine et demie qu’il portait en lui le terrible secret de Ren, et Sarang avait eu beau chercher, il n’avait pas su comment préparer ces retrouvailles. Quels mots pouvait-on dire, quand on sait quelque chose comme ça ? Alors que déjà, quand une de ses connaissances perdait quelqu’un, il ne savait pas comment réagir. Il avait pensé plus d’une fois à l’appeler ou lui envoyer un SMS, mais trouver quoi dire était plus dur encore. Ce n’était pas le genre de chose dont on pouvait parler par téléphone. Alors, il avait espéré, prié pour que Ren rentre simplement à la maison, dans cet appartement qu’ils étaient supposé partager tous les deux. Il n’était pas venu.

Sarang se mordilla la lèvre, il sentait déjà les émotions bouillonner en lui, mais ce n’était pas le moment de les laisser prendre le contrôle. Avec raideur, il franchit les quelques mètres qui les séparaient, puis il tendit simplement la main dans sa direction. Sans un mot, sans même desserrer les lèvres. C’était idiot, sans doute, c’était peut-être ce que tout le monde pensait, mais pour l’instant c’était tout ce dont il avait besoin. Si Ren pouvait juste prendre cette main, le reste allait venir. Aussi brisés qu’ils puissent être, ils trouveraient un moyen d’avancer dans la même direction.

De près, Ren n’avait pas l’air en grande forme. Ce n’était pas évident à voir, avec le masque et le manque de lumière, mais ses joues semblaient s’être creusées. Venin qui franchit bien rapidement les lèvres de l’autre, avant qu’il ne commence à partir. Sarang s’était attendu à quelque chose de salé, mais fut surpris par ses paroles. Haussement de sourcils invisible derrière le masque alors qu’il emboite le pas de l’autre.

« Lâche ? » Laissa-t-il sortir, l’air clairement atterré.

Ça continuait, encore et encore, un flot de paroles malsaines. Il était face au mauvais Ren, celui qui veut tout casser. Mais il n’en avait plus peur désormais, et ne comptait pas se laisser avoir. Quand ils se retrouvèrent finalement face à face, Sarang observa Ren une seconde. Puis sa main bondit jusqu’à la coupe de champagne qu’il attrapa et éclata au sol.

« Tu me parles de courage ? C’est toi qui as lâché ta bombe et qui es parti en me laissant dans un pays que je connaissais même pas. C’est toi qui n’as pas foutu les pieds à l’appartement depuis dix jours, et là, c’est moi qui suis en train de te suivre parce que tu es encore en train de te barrer. » Avec un soupir, il se passa une main dans les cheveux. Il fallait qu’il reste calme, ce serait faire le jeu de l’autre que de partir dans un clash. Avec beaucoup plus de sérieux, il ajouta. « Je comprends que tu souffres, Ren, mais t’es pas le seul. »

C’était peut-être parce qu’il faisait de son mieux pour se contenir, mais Sarang avait soudain très chaud. Il se frotta la joue et faillit virer son masque au passage.

« J’aimerais comprendre, ça c’est clair, et pas besoin de tes détails sordides. Mais faudrait aussi que toi, tu me comprennes. » Son regard se leva vers le ciel alors qu’il poussait un lourd soupir. Les mots, les réflexions qu’il avait pu avoir se bousculaient dans sa tête en un magma incohérent. Il avait toutes les peines du monde à y mettre de l’ordre. « J’ai été choqué. Évidemment. Comment ne pas l’être. J’avais besoin de temps pour… » Les mots semblèrent soudain le fuir. « Je sais pas, assimiler ça. L’accepter, d’une façon ou d’une autre. »

S’ajoutant au reste, il eut soudain l’inquiétude de mal exprimer ses ressentis, et d’énerver Ren encore plus. Il jeta un air mal assuré au mannequin, avant de partir sur quelque chose de beaucoup plus simple.

« Ce qui est sûr, c’est que si j’étais en train de te fuir, je serais pas là. Je suis peut-être idiot, mais pas à ce point. Et si tu crois me protéger en me traitant comme de la merde, t’oublies juste un détail… »

C’en était trop, Sarang arracha son masque et tira sur sa cravate pour la desserrer. C’est fou, la dernière fois aussi, il avait eu cette impression d’étouffer, non ? Ces soirées additionnées à un Ren sur les dents, ce n’était vraiment pas sa tasse de thé. De guerre lasse, il termina sa phrase.

« Je t’aime, abruti. »

Les parterres de fleurs étaient séparés du reste par de grosses bordures de béton assez hautes, comme si les propriétaires des lieux avaient eu peur que la nature ne prenne trop de place. Sarang, s’éloigna de quelques pas de Ren pour aller s’y échouer. Ce n’était pas une fuite, il se sentait juste très fatigué d’un coup. Il s’était énormément posé la question de ses sentiments pour Ren après cette révélation. Normal. Et les quelques jours qu’ils avaient passés loin de l’autre avaient au moins eu l’avantage de lui faire goûter à ce que serait une vie sans Ren.

Et il avait détesté ça.
On ne connaît vraiment la valeur des choses que lorsqu'on les perd, n’est-ce pas ? Celui qui avait dit ça avait tout compris. Cette vie, il n’en voulait pas. Sarang n’avait jamais été amoureux, il n’avait pas de points de comparaison pour évaluer la force de cet amour, mais cette solitude lui avait donné l’impression qu’une partie de lui était en train de crever. Ren avait brillé par son absence, il était partout. Il en avait été malade.

Alors oui, il y avait dans son passé quelque chose d’affreux dont il ne connaissait pas les détails. Sans doute une personne raisonnable aurait attendu d’avoir quelques explications avant de renouveler sa déclaration d’amour, mais il n’était pas raisonnable. Il était Sarang.

Bien malgré lui, Sarang sentit monter en lui une pointe de colère et de rancune. Ren n’avait visiblement aucune envie de faire l’effort de se mettre à sa place. Dans tout ce qu’il disait, il n’y avait que moi, moi, moi. Ce que lui avait ressenti, ce que lui aurait voulu qu’il fasse ou pas, ce qu’il avait traversé. Pas une seconde il ne pensait à lui, bien au contraire, il lui faisait porter toute la responsabilité de ce qu’il s’était passé entre eux. Quand on aime, on ne s’isole pas, qu’il venait de lui dire, mais qui s’était isolé. Sarang n’avait aucune idée de l’endroit ou l’autre avait passé ces derniers jours, Ren, lui, savait parfaitement où il était. Ah, oui, Ren ne lui avait pas dit qu’il l’aimait, et c’est sans doute pour ça qu’il était dans un tel état aujourd’hui, parce qu’il ne l’aimait pas.

De toute évidence, Ren se pensait seul avec sa douleur. Il ne réalisait pas que, maintenant qu’il avait partagé son secret, Sarang portait en lui une partie de son fardeau. Puis le mannequin s’écroula. Oubliant leur querelle, il s’était levé et s’approcha à grands pas, prêt à aider l’homme qui lui a ravi le cœur à se relever. Le regard meurtrier qu’il lui lança l’en dissuada.

« Lumineux, putride, doux, déglingué, ça change rien. Tu es en moi tout le temps. » Lâcha Sarang, plus préoccupé par l’état de santé de Ren que par ses paroles pleines de ressentiments. Le plus bizarre, c’était qu’ils s’étaient bien compris, Ren avait fini par le dire lui-même. Il n’avait pas su comment encaisser tout ça. C’était la stricte vérité. Comment pouvait-il lui vouloir d’avoir été choqué ?

Il regarda Ren se relever tant bien que mal, mais aurait largement préféré qu’il reste assis. Il avait meilleure mine la fois où il avait saigné du nez. Et le voilà qui vomissait encore d’autres mots pour purger sa tristesse et sa colère. Sarang serra les poings. C’était la même chose à nouveau, moi, moi, moi. Il n’en pouvait plus.

« Tu veux jouer à celui qui a le plus souffert ? Tu veux savoir que j’ai porté des couches jusqu’à six ans passés parce que mes géniteurs n’ont même pas pris la peine de m’apprendre où il fallait pisser ? Tu veux que je te dise que j’ai pas eu d’enfance ? Que j’étais à un quart de cheveux de passer ma vie entière dans un institut pour handicapés mentaux ? À part mes parents adoptifs, personne ne croyait en moi. La reconnaissance, j’ai dû l’arracher de mes mains. Tu penses être le seul à avoir l’âme en miettes, Ren ? Arrête tes conneries. »

Il regretta ses trois derniers mots, mais ils étaient sortis tous seuls et maintenant c’était trop tard. Ren lui tourna le dos une fois encore. Il remit son masque sur le visage lui aussi, et ne le lâcha pas d’une semelle. Quand il entra dans ce qui devait être l’un des énièmes petits salons de cette gigantesque baraque, Sarang ne lui laissa même pas le temps de fermer la porte et se glissa à l’intérieur.

« Tu continues de te barrer. Tu penses que je vais te donner raison en arrêtant de te suivre ? »

Il referma la porte, et s’appuya contre le panneau, les bras croisés, le regard posé sur Ren, quoi qu’il fasse.

« Je te trouve vraiment dur. Sérieux. Tu dis avoir passé des années à essayer d’encaisser, et tu aurais voulu que j’y parvienne en quelques heures ? Peut-être qu’en y mettant les formes, ça aurait pu marcher, mais tu m’as craché ça à la gueule et t’es parti. »

La scène était encore bien vibrante dans sa tête, même les odeurs, il les sentait encore. Il essaya de chasser ce souvenir, pour ne pas flancher comme c’était arrivé ce soir-là. Il fallait qu’il reste droit dans ses bottes face à Ren. Après un moment, il se décolla de la porte et marcha vers l’autre avec lenteur, comme s’il essayait d’approcher un cheval sauvage.

« Si je suis venu ici, c’est pour te ramener à la maison. » Dit-il en venant se caler devant lui. « Rentre, même si tu m’en veux. »

Un pas de plus, et Sarang se retrouva tout proche de Ren. Sa main retenta une approche, entourant la sienne, mais sans la serrer vraiment.

« Je suis désolé de t’avoir fait souffrir. Je ne partirais plus. Jamais. C’est promis. »

Dans la lumière, le mannequin avait l’air encore plus malade. Jamais il ne l’avait vu si pâle et amaigri. Ça lui brisait le cœur de savoir que c’était de sa faute, et c’est ce qui finit par rendre ses yeux un peu trop brillants malgré tous ses efforts pour rester fort.

« Je t’aime. Je dis pas ça à la légère, et je continuerais de le répéter jusqu’à ce que le message pénètre. »

Sa main libre accompagna ses paroles en venant se déposer sur sa poitrine, au niveau du cœur. Il la retira au bout de quelques instants, le regard bravant celui de Ren derrière son masque.

« J’ai fais des erreurs, ce sera sans doute pas les dernières. Mais je suis là, maintenant, et je ne fuirais pas. »

Sarang se sentait sombrer complètement. Il avait l’impression de mettre son cœur à découvert pour se le faire poignarder un peu plus à chaque fois. Toute l’honnêteté qu’il pouvait offrir, tous ses sentiments étaient balayés, passé au rouleau compresseur du moi de Ren. Encore et encore. Les rares fois où il le mentionnait, c’était pour lui percer le cœur un peu plus. Il avait fait de son passé une force ? Connerie. Il n’avait pas d’intérêt pour les cadenas ? Bien sûr, c’était bien pour ça qu’il en avait acheté un le jour même de leur dispute, n’est-ce pas ? Sarang avait nettement pâli. Immobile et silencieux, il avait l’impression que son esprit se détachait de la scène. Seuls les battements de son cœur lui rappelaient qu’il était encore dans son corps. Ce n’est que quand son dos toucha le mur qu’il eut un semblant de réaction.

« Ne me parle pas de mes besoins… »

Clairement, Ren n’avait aucune idée de ce qu’il désirait ou pas, ni de ce qu’il pouvait ressentir. Comment une personne amoureuse pourrait ne pas vouloir être aimé en retour ? Son cadet le prenait-il pour une sorte de psychopathe doublé d’un menteur compulsif ? Encore une fois, il se demanda ce qu’il avait bien pu faire pour que l’autre ait une image de lui aussi négative.

Faiblesse de Sarang alors que les doigts de l’autre glissent vers son cou. Il aurait dû le repousser, après tout ce qu’il venait de lui dire, il le savait, mais il ne pouvait pas. Si Ren n’aimait que son corps, il était prêt à le lui offrir sur un plateau, aussi douloureux que ça puisse être. Et puis les derniers mots qui tombent, et son souffle est coupé de nouveau. Une bouffée détonante de surprise et de malaise, de douleur et de soulagement lui monta à la tête en lui donnant la nausée. Baiser qui s’impose, sensation familière qui, comme l’aveu de Ren, est à la fois douce et aigre. Sarang laisse l’autre mener la danse, jusqu’au moment où les sanglots l’étouffent et les larmes déferlent sur ses joues.

Sans force, il se laissa glisser au sol, où il se retrouva penché en avant, les mains dans les cheveux alors qu’il pleurait à n’en plus finir. Sarang rejeta son masque pour s’essuyer les yeux, essayant de se ressaisir, en vain.

« Des fois, quand tu parles de moi, j’ai l’impression d’être un monstre. Je savais pas pour les cadenas, et j’ai dit à ton homme de main que j’avais besoin d’un peu de temps. Du temps, c’était vraiment trop demander ? »

Il ne comprenait toujours pas pourquoi il devait être tant puni d’avoir été choqué par la nouvelle. Lâche, dénué de conscience, pathétique, stupide, qui a une vie de merde. Comme lorsqu’ils étaient tombés sur les cadenas, il s’était pris une sacrée série de baffes. Bien pire, d’ailleurs, que ce jour-là. Et maintenant, Ren lui avait avoué ses sentiments, tout en avouant également qu’il le détestait et ne voulait pas rentrer. Que faire, alors ? Il ne savait plus.

Ça aurait pu être un moment heureux, mais à cet instant Sarang aurait aimé être seul à nouveau. Il n’avait plus la force d’affronter le regard de Ren, avec tout le mal qu’il pensait de lui, toute la haine et la rancune qu’il pouvait encore lui cracher au visage. Il comprenait sa douleur. En partie, bien sûr, il était conscient que rien de ce qu’il pouvait imaginer ne serait jamais à la hauteur. Mais pourquoi avait-il l’impression de devoir payer pour ça, lui aussi ? Si Ren n’aimait pas Séoul, pourquoi ne l’avait-il simplement pas dit ? Si Ren avait accroché un cadenas, alors il savait très bien qu’ils tomberaient dessus en montant jusqu’à la tour. Pourquoi n’avoir rien dit ? Pourquoi avoir attendu d’être sur les lieux et lui exploser à la gueule ? Est-ce que ça aussi c’était sa faute ?

Les larmes finirent par cesser de couler, mais Sarang resta prostré sur le sol, les yeux baissés. Il se sentait épuisé mentalement d’avoir lutté en vain pour se faire entendre. Il tritura son masque du bout des doigts un instant, avant de se relever en le remettant sur son visage.

« Je retourne à la fête. »

Piètre excuse pour prendre un peu de distance. Sarang contourna Ren et sortit pour aller se fondre dans la foule. S’il avait bien compris, ce n’était pas de la fuite, puisque l’autre lui avait fait exactement la même chose l’autre fois. Ou alors, il allait le payer aussi, mais à ce stade il n’était plus à ça près.

Comme la danse était l’une des rares choses qui pouvaient vaguement l’intéresser là-dedans, il se retrouva vite au bord de la piste, à regarder les gens. Il les enviait un peu, leurs sourires étaient peut-être factices, mais au moins ils souriaient. Un serveur passa près de lui, et il se retrouva avec une flûte de champagne à la main. Il fit tournoyer le liquide dans son verre un instant, le regardant avec un vague intérêt, puis il le porta à sa bouche. Alors que les bulles lui picotaient la langue, il eut une grimace de dégoût, et recracha tout dans la coupe.

« Dégueu… » Marmonna-t-il.

Il se rendit compte que s’éloigner n’arrangeait rien. La danse ne le distrayait pas assez pour que Ren quitte ses pensées, loin de là. Ses paroles lui brûlaient les veines, il revoyait son air malade et fatigué, et il eut encore plus mal. Où allait-il aller, s’il ne rentrait pas ? Et s’il faisait un malaise ? À peine cette pensée l’avait-elle traversé qu’il regretta d’être parti. En se maudissant de prendre sans cesse les mauvaises décisions, il reprit d’un pas rapide le chemin de la pièce qu’il avait quitté. Il essayait de reconnaitre son homme au milieu de cette mascarade, une sensation d’angoisse dans les tripes.

« Ren… ? » Tenta-t-il en faisant un tour sur lui-même, dévisageant les personnes autour de lui.

Sa main se posa sur ses lèvres alors qu’il se demandait ce qu’il allait faire s’il ne le retrouvait pas. Il restait le téléphone, mais encore fallait-il qu’il veuille bien lui répondre, avec toute la colère qu’il avait contre lui. Sa respiration s’accéléra, et les visages se brouillèrent devant ses yeux. La foule lui devint oppressante.

« Ren… Je t’en prie, Ren… » Lâcha-t-il, bien trop doucement pour qu’on l’entende de très loin.