Ren n’avait pas trop l’air d’apprécier la façon dont il interprétait son comportement de l’autre soir. Ça lui semblait pourtant tenir la route, mais comme souvent, la réaction du cadet suffit à faire naître le doute en Sarang. Peut-être se trompait-il complètement, mais sous les caresses et baisers partagés, il finit par décréter que c’était sans importance. Ren finit par l’abandonner, et il ne put retenir une petite moue boudeuse. Forcément, le sol n’était pas le coin le plus confortable du monde, mais avec son beau matelas, il ne l’avait pas vraiment réalisé. Mieux valait retourner dans la chambre, maintenant qu’il connaissait le chemin, il comprit vite où il se faisait emmener.

Sarang se laissa bien docilement accompagner jusqu’au lit, déshabiller, embrasser et… abandonner de nouveau. Deux fois en cinq minutes, ça commençait à devenir une manie. Il se laissa tomber en arrière sur le lit en se mordillant la lèvre, une pointe de frustration lui titillait le creux du ventre. Ren était certainement un chat dans une vie antérieure, c’était pas possible d’être aussi taquin, et lui était assez bête pour que ça marche à chaque fois. Et puis, on en parle de cette habitude qu’il avait de lui enlever ses fringues ? Ou pire, lui enlever ses fringues ET se barrer derrière. C’était rageant, humiliant, excitant au possible.

La voix du mannequin se fit entendre depuis la salle de bain tandis que le plus âgé mais le moins mature du lot faisait son boudin sur le lit. Sarang était résolu à ne plus se faire avoir au moins jusqu’au bout de cette soirée, mais l’invitation l’attira quand même dans la pièce à côté. Il s’arrêta à la porte et regarda Ren au milieu de toute cette mousse, une vision qui mit instantanément fin à toute bouderie.

On aurait pu penser que depuis les années il s’y serait fait, mais ce court séjour au Japon avait démontré le contraire. Il avait été saisi par la beauté de son jeune amant plus d’une fois en à peine vingt-quatre heures. Cette couleur de cheveux y était sans doute un peu pour quelque chose. Il n’empêche, Sarang resta quand même sagement assis sur le bord.

« Si c’est mauvais pour ta santé. Je devrais sans doute te laisser tranquille, non ? Tu dois être fatigué, en plus. » Il regarda la baignoire, et finit par enlever ses chaussettes, et les rares vêtements que Ren lui avait laissés. « Bon, je suppose que ça ne fera pas de mal si je me mets à l’autre bout ? »

Comme il venait de le dire, il finit par mettre les pieds dans l’eau et s’installer à l’exact opposé dans le bain. Il prit la première bouteille de savon qu’il trouva et se frotta les bras, les épaules et le torse avec zèle, non sans jeter de fréquents coups d’œil du côté de son cadet. Ça manquait de finesse, mais surtout, sa tentative de teaser Ren avait une grosse tendance à le teaser lui aussi.

« Si t’es fatigué, je peux peut-être te donner un coup de main aussi… »

Après cette superbe excuse, il regarda les autres bouteilles qui trainaient jusqu’à trouver du shampoing, et s’approcha ensuite de son camarade. Il se redressant sur les genoux pour être au-dessus de lui.

« Soit sage, je veux pas t’en mettre dans les yeux. »

Les massages de la tête, ça faisait trop du bien. Il prit du plaisir à le faire aussi, mêlant ses doigts dans ses cheveux encore et encore. Ce n’est qu’après quelques bonnes minutes et beaucoup de mousse qu’il finit par arrêter et rincer le tout avec la petite douchette que j’ai oubliés le nom. Quand le savon fut finalement enlevé et que Ren put relever la tête, son regard accrocha le sien et Sarang eut l’impression que son cœur manquait un battement, de même que ses poumons une respiration. Ça devenait de pire en pire, comme si quelque chose grandissait en lui, lentement mais sûrement.

« Qu’est-ce que t’es beau. » Laissa-t-il échapper. « Tu ressembles à un ange avec tes cheveux blonds. »

Il se laissa retomber à son niveau et ses lèvres se posèrent tout naturellement sur les siennes, en quête d’un baiser qu’il s’était retenu de faire pendant beaucoup trop longtemps. Après ce moment de tendresse, il enfouit son visage dans son cou et se laissa aller contre lui.

« Je crois que tu as raison. Je suis vraiment ton petit homme idiot. »

Ça le perturbait pas mal, le dernier mot, déjà, mais aussi le fait qu’il ne s’était jamais considéré comme étant à personne. Peut-être l’avait-il été avec ses géniteurs pendant les premières années de sa vie, mais ils lui avaient vite fait comprendre qu’il était seul, et il s’en était accommodé tout le restant de sa vie.

Le temps aurait pu s’arrêter une fois encore, c’était comme si plus rien n’avait d’importance en dehors de cette baignoire et de leurs deux corps l’un près de l’autre. Sarang se redressa un peu sous l’incitation de Ren. Alors comme ça, ils étaient idiots tous les deux ? Ce serait drôle, tiens.

« Je peux pas te résister. » Dit-il pour lui répondre. « Je te suis dans la chambre, je te suis dans la baignoire, où que tu ailles. C’est pas déplaisant, cela dit. »

Lèvres qui se frôlent, Ren qui continue d’être joueur, provocateur. Il sent sa main descendre le long de son dos, et de légères contractions lui remuent le fond du ventre, comme si son corps se préparait à une suite des plus sulfureuse. Mais là encore, il s’arrête, tout près de ses parties les plus intimes. Aux nouveaux compliments prononcés par son amant, Sarang ne répondit que par un grognement. L’eau était censée baisser en température au fil du temps, mais lui avait plus chaud que jamais. Ren qui ne met pas fin à ses taquineries pour autant. Ses lèvres effleurent la peau de son visage, puis descendent dans son cou pour le marquer à nouveau. La très légère douleur lui fit expirer une bouffée d’air brûlant, et à sa dernière réplique, il ne put que soupirer encore.

« Hm… »

Sarang n’était plus qu’une machine à distribuer les baisers et les caresses. Plus rien ne comptait à présent, si ce n’était Ren et sa gueule d’ange. Tous deux victimes et bourreaux à la fois, ils se torturaient d’un plaisir qui avait tout d’une drogue.

« Je te veux tout entier. »

Aveux lâchés d’une voix sourde, cette distinction entre le corps et l’esprit, c’était Ren qui la faisait, pas lui. Bien sûr, il aimait son corps depuis la toute première fois, il l’avait admiré avant même d’aller lui parler, comme il l’avait dit plus tôt, mais il avait aussi reconnu aimer son caractère. La vraie question était pourquoi. Pourquoi lui, alors qu’il y en avait tant d’autres ? Des plus aimants, des moins tourmentés ? Sans doute parce que les grandes démonstrations d’amour qu’on lui avait offertes, il n’avait jamais su quoi en faire. Sans doute parce qu’il était lui-même un enfant trouble, ils pouvaient se comprendre au moins un peu, créer un lien plus fort et plus profond. Alors oui, il prenait tout, la tendresse, l’instabilité, les rires, les brusques moments de froideur, les incompréhensions, les taquineries, les morsures, les sous-entendus qu’il captait pas, les instincts protecteurs, les déclarations troublantes. Il prenait tout et advienne que pourra.

Il a du mal à redescendre, Sarang, le visage enfoui dans le cou de l’autre, il ne put que rire lui aussi en entendant qu’il n’y était pas allé à moitié. C’était évident que pendant un moment, il avait complètement oublié leur état de santé à tous les deux. Il s’était laissé emporter, mais après tout, quelle meilleure façon de terminer ce petit interlude dans la bulle de son amant. Il y était allé fort, parce qu’il se sentait suffisamment en sécurité dans les bras de l’autre pour le faire. Sans parler, il avait dit beaucoup de choses, à qui pouvait l’entendre.

C’est Ren qui finit par sortir du bain, et il fit pareil. Ses jambes paraissaient toujours faibles, elles tremblaient sous son poids et lui donnaient l’impression de pouvoir céder à tout moment. Ça ne l’empêcha pas de se laisser entrainer dans la douche, s’appuyant contre le carrelage en dévorant des yeux le visage si parfait du mannequin. Aux bras qui entourent ses épaules, il répondit en s’enroulant autour de sa taille. Au baiser, il écarte ses lèvres et chercher le contact de leurs langues. Docile comme jamais, il se retourne ensuite pour laisser son compagnon lui laver les cheveux et le corps, ses yeux se fermant d’eux-mêmes alors qu’il laissait reposer son front contre la paroi. Après le tumulte, voilà que Sarang était pris d’un sérieux coup de barre. Les paroles de Ren eurent quand même pour effet de le sortir de sa torpeur. Il se retourna et sa main remonta de son bas-ventre jusqu’à sa poitrine.

« Tu me laisserais ici, dans une maison trop grande et un pays que je connais pas ? » Sa main monta jusqu’à son cou tandis qu’il s’approchait de son oreille pour chuchoter. « Y’en a pas deux comme moi, cherche autant que tu veux. »

Sans préavis, il lui mordilla le cou pour y faire une autre marque, et avec un sourire, il sortit de la douche. Il prit l’une des serviettes posées bien en évidence sur le meuble de salle de bain et s’enroula dedans. Un instant, son regard glissa sur les vêtements que Ren avait abandonnés, son t-shirt, plus précisément. Il s’en détourna, il n’avait été porté que quelques minutes de toute façon. Il retourna dans la chambre et se laissa lourdement tomber sur le lit. Un soupir lui échappa, il avait presque l’impression que ses jambes lui disaient merci. Il frotta un moment ses cheveux avec la serviette, puis remarqua les vêtements qu’il avait lui-même portés. Pour ne pas perdre son portable, il le sortit de son jean et le posa sur la table de chevet, puis il se glissa dans les draps, et soupira de plus belle. Il avait encore des sensations au fond du ventre, comme si son cher amant ne l’avait pas tout à fait quitté, ou que son corps s’en rappelait trop bien. Quand Ren sortit de la salle de bain, Sarang tendit les bras vers lui, et lui laissa à peine le temps de s’allonger pour se blottir dans ses bras.

« Tu plaisantais tout à l’heure, hein ? Tu seras là demain… ? »

Une crainte d’enfant au bout des lèvres, il regardait toujours son compagnon. C’est sur cette image que le sommeil finit par avoir raison de lui, l’emportant loin des bras de Ren, et même loin du Japon, dans une ville qui s’appelle Gunsan.

« Ma’ ? »

Il faisait moins que son âge à bien des égards, il aurait dû être bien plus grand qu’il ne l’était, il aurait dû savoir faire des phrases, il aurait dû être propre aussi. Pourtant, il était là, avec une couche et un t-shirt crasseux pour tout vêtements. Tout était sale ici de toute façon, l’odeur piquait la gorge, un mélange de nourriture avariée, d’urine de chiens et de cigarette.

« Ma’, la couche… »

C’est derrière la porte entrouverte de la salle de bain qu’il la trouva. Penchée sur les toilettes, à vomir va savoir quoi. Ce n’était pas comme s’ils mangeaient beaucoup, tous les deux. Ça se voyait d’ailleurs, même si elle n’était pas bien grande, elle était tellement maigre que sa silhouette paraissait étrangement allongée, comme une sorte d’insecte. Ses cheveux étaient si emmêlés que les pointes ressemblaient à des cordes. Elle tourna la tête alors qu’il poussait la porte. Les mêmes yeux noirs, mais pas le même regard, aucune chaleur dans celui-là, aucune étincelle. Juste un regard froid et lointain, on aurait presque dit le regard d’un mort. Elle traversa la petite pièce en quelques pas et il recula jusqu’au mur opposé du couloir, la peur au ventre d’avoir fait quelque chose de mal et de devoir en payer le prix. Sans un mot, elle attrapa la poignée de la porte et la flanqua brutalement.

Sarang ouvrit les yeux et regarda le ciel un instant, vaguement surpris par toute cette lumière.

« Ren… ? »

Dans la confusion du sommeil subitement interrompu, il se rappela seulement que Ren avait dit qu’il partirait. Il se redressa d’un coup, le cœur battant, cherchant autour de lui la gueule d’ange et les yeux noisettes, parfois joueurs mais tellement plus accueillants.